Albert Kimmerling, Roger Sommer et Louis Mouthier sur le terrain de Bron.
La plaine à Bron-Genas (vue prise à vol de biplan piloté par A. Kimmerling. Photo de Charles Popineau du Lyon Républicain)
Fête à l’aérodrome Bron-Lyon.
École d’Aviation de Bron
Nouveau challenge pour
Albert Kimmerling
Les débuts d’aviateur en France
Au mois de mai 1910, alors qu’Albert Kimmerling préparait ses valises pour son retour en France, un grand meeting d’aviation s’était tenu à Villeurbanne. Durant une semaine, les meilleurs pilotes d’Europe s’étaient affrontés dans des compétitions de vitesse, de distance, d’altitude et même de poids des passagers. Réunissant plus de 100 000 personnes, l’événement avait été un triomphe.
L’engouement du public a été tel qu’un banquier lyonnais, monsieur Bouchet de Fareins, a contacté le maire de Bron dans l’espoir d’aménager près du fort, sur des terres agricoles bordées par la route nationale 6 et le carrefour des Sept Chemins, un « champ d’aviation » comportant des hangars pour les aéroplanes ainsi que des tribunes.
Monsieur Bouchet de Fareins prévoit aussi l’installation d’une École Nationale d’Aviation, l’une des toutes premières au monde. Son projet est soutenu par l’Aéro-club du Rhône, et par le constructeur d’avions Roger Sommer. C’est dans cette perspective que l’on fait appel à Albert Kimmerling. Depuis son lit de convalescence, victime d’une chute à Miramas près de Marseille, ce dernier écrit : « L’affaire marche à Lyon »
Kiki passe son brevet de pilote !
Albert Kimmerling obtient son brevet de pilote (n° 291) le 19 octobre 1910 à Mourmelon sur un biplan Sommer. À cette époque, trois vols de 5 kilomètres suffisent à l’obtenir.
En attendant la fin des travaux à Bron, les aviateurs s’entraînent au Grand Camp de Villeurbanne. L’amélioration des modèles conduit à des vols sans cesse plus longs et plus hauts.
Aérodrome de Bron
Le Progrès du 31 octobre 1910 écrit : « L’aérodrome de Bron a été envahi par le public. Le temps était beau et les aviateurs Kimmerling et Mouthier ont fait de nombreux et très jolis vols. L’aérodrome, situé sur la route de Grenoble, un peu après le fort de Bron, répond à un véritable besoin de la région lyonnaise. Il est heureux de constater qu’il obtient, dès le début, tout le succès qu’il est en droit d’attendre. Les vols d’hier ont été accueillis avec enthousiasme par le spectateur. »
Le challenge de Bron consistera à former les pilotes pour vendre les aéroplanes Sommer, mais aussi à tester les machines quant à leur capacité d’emport (charge utile) et démontrer que l’aéroplane est un véritable moyen de locomotion.
C’est ainsi que Kimmerling réalisera de nombreux vols avec passagers (avec sa soeur, avec Édouard Herriot, maire de Lyon, avec une famille complète…). Mi-mars 1911, Roger Sommer emmènera douze adolescents sur son biplan !
Aguerri par ses nombreux vols, Albert Kimmerling n’hésite plus à accepter des passagers sur son biplan qu’il appelle pour cette raison « l’Aérobus ».
Raid Bron – Montceau
10 février 1911
une première et un réel exploit !
En ce mois de février 1911, c’est donc un aviateur aguerri qui décide d’effectuer un vol exceptionnel.
Exceptionnel, il promet de l’être en effet, car jusqu’à présent, les aviateurs décollaient et se posaient au même endroit, ou tout du moins, ne savaient pas vraiment où ils se poseraient. Ce vol donc, serait le premier vol effectué avec un but déterminé à l’avance.
Albert Kimmerling choisit le petit village de Montceau comme lieu de destination.
Plusieurs raisons expliquent ce choix. Principalement, parce que le maire de l’époque, Lionel Cottin, est un « sporteman », et qu’il connaît Albert Kimmerling.
Lionel Cottin maire de Montceau
Ce riche entrepreneur, propriétaire et occupant du château de Montceau, est le jeune maire de cette petite commune rurale depuis 1908.
Entrepreneur dynamique, Lionel Cottin n’en reste pas moins généreux. À Montceau, on salue son dévouement pour pallier les difficultés financières de la commune, et en mettant une automobile au service des malades dont le transport à l’hôpital est ordonné. Par ailleurs, les journaux sportifs soulignent le rôle important de Lionel Cottin dans l’organisation de compétitions cyclistes… Il a d’ailleurs créé un atelier de montage de vélocipèdes (les cycles Humber) au château de Montceau.
Mais la générosité de Lionel Cottin et ses bons rapports avec l’aviateur ne suffisent pas à rendre ce vol possible. Il faut également qu’il le soit du point de vue technique. Il se trouve que par un heureux hasard, le trajet est sans relief entre Bron et Montceau, et que la destination, point culminant du Nord Isère, est située à une distance raisonnable de 40 kilomètres…
Premier vol avec destination choisie à l’avance
Le matin du grand jour, les conditions météorologiques sont jugées favorables par l’aviateur. Le vol à haut risque peut avoir lieu. Ce vendredi 10 février 1911, Albert Kimmerling décolle de Bron à 9 h 35. Voici la narration (le film !) des événements par le journaliste du Progrès de Lyon :
« Le matin, à l’heure où tout doucement la brume s’efface, Kimmerling décide de partir. Déjà, un mouvement intense règne à l’aérodrome : quinze voitures sont là, chargées de monde, n’attendant qu’un signal pour se lancer à la poursuite de l’aviateur. Et bientôt Kimmerling monte sur son siège, on fait tourner l’hélice, le biplan glisse sur l’herbe, et crânement prend son vol. Il est 9 h 35.
C’est parti !
« Aussitôt les voitures lui donnent la chasse ; voitures de toutes couleurs, de toutes marques, mais notamment une Cottin-Desgouttes conduite par M. Deydier, et une Turcat-Méry pilotée par M. Drevon. Toutes deux spécialement chargées de veiller sur le biplan, vont traverser les campagnes à une allure de tempête, suivant toujours et partout le grand biplan qui là-haut dans le ciel bleu porte le courageux et sympathique pilote.
En principe, Kimmerling comptait voler haut, de façon à éviter les remous produits par les collines et à se repérer plus facilement, mais il n’a pu le faire. Dès La Verpillière, des remous le prennent. Il cherche alors dans la grande piste aérienne une région plus calme, et descend à 60 mètres. Rapidement, il avance. Au temple de Vaulx, son allure augmente ; la brise le déporte un peu, il suit alors la voie ferrée qui borde la grande route et passe au-dessus de la Grive à 10 h 7. »
Le plus dur reste à faire !
À partir de là commence la période difficile et dangereuse de ce grand raid. L’aviateur pique droit sur Montceau ; à 10 h 11, il contourne Bourgoin dont les deux tours carrées [les deux flèches de l’église Saint-Jean-Baptiste de Bourgoin] le guident et donnant toute l’avance, relevant le stabilisateur, il monte à 300 mètres pour commencer l’escalade des coteaux tout blancs de neige, hérissés d’arbres menaçants. »
L’avion est un modèle Sommer de 12,50 mètres de long et de 400 kilos.
Albert Kimmerling réalise son parcours à une hauteur de cent mètres.
Un évènement extraordinaire pour des gens ordinaires !
De toute part, les gens sortent de leur maison pour observer cet étrange engin. « Des témoins nous ont confirmé que les hommes dans les champs se découvraient et les femmes se signaient à la vue d’un aéroplane qu’ils voyaient pour la première fois dans les airs. » À Bourgoin, les élèves des classes intrigués par les ronflements venus du ciel sortent de leur classe, accompagnés de leurs professeurs.
L’arrivée :
L’atterrissage a lieu sur un champ au lieu-dit « La Pièce Longue », spécialement balisé par un feu de foin mouillé qui dégage une forte fumée blanche.
Les nombreux journalistes, ayant fait le déplacement pour cette occasion, s’empressent d’écrire.
Le journaliste du Progrès de Lyon explique : « Depuis longtemps, le petit village de Montceau, perché à 512 mètres d’altitude est en fête. De tous côtés, les habitants sortent ; ils se dirigent vers une grande prairie marquée de drapeaux et que l’on a choisi d’avance. À peine sont-ils sur le terrain que longtemps avant l’heure fixée un cri s’élève : le voilà !
C’est Kimmerling, en effet. À grande allure, le biplan s’avance. Il pique droit sur nous, grossit, passe au-dessus du dernier poteau et exécutant une très belle descente en flèche, vient se poser doucement sur l’herbe. La première partie du raid est terminée. »
Quant au journaliste de la Dépêche Dauphinoise, celui-ci raconte :
« C’est à la hauteur de 50 mètres que Kimmerling pique droit pour atterrir d’une façon merveilleuse. Il serre la main de nombreux amis. Une foule considérable est là, enthousiasmée. Elle acclame l’aviateur. Pour lui être agréable, celui-ci s’élève à nouveau en un vol aisé et fait un tour dans les environs de Montceau, aux applaudissements des spectateurs. Puis il revient atterrir exactement à son point de départ. »
« On ne s’attarde pas sur le plateau. L’air vif, le soleil clair ont aiguisé l’appétit, et joyeusement on s’installe à l’hôtel (*) où monsieur Cottin a fait préparer à dîner pour tout le monde.
Auprès de lui et du héros du jour, se placent : monsieur le receveur des finances de La Tour-du-Pin et madame, madame et monsieur Loras, électricien, madame et monsieur Budin, régisseur, monsieur Huguenet, chirurgien dentiste, monsieur Pouyade, maire de Saint-Victor-de-Cessieu et son fils, messieurs Guerre, Favrot, de Magneval, Planel, Durand, Dufour. Monsieur Émery, maire de Bourgoin et monsieur Hémery président de L’U.S.F.S.A., monsieur Larrivé, conseiller d’arrondissement, monsieur Desparmet, messieurs Doucet, Brunet, etc.
Ainsi que les représentants de toute la presse lyonnaise. Un bouquet et un souvenir (combien chers !) sont offerts tout d’abord à Kimmerling, puis ce dernier exprime en quelques mots sa joie d’être venu. Monsieur Pouyade lui succède. Il remercie et félicite l’aviateur qui pour la première fois a osé conduire à Montceau un aéroplane. Il félicite aussi chaleureusement monsieur Cottin d’avoir organisé cette petite fête.
* Il s’agit de l’Hôtel du Midi — café Bouverot situé sur la place de Montceau.
C’est dans cette maison que le 10 février 1911, Lionel Cottin reçoit Albert Kimmerling ainsi que de nombreuses personnalités pour partager un repas.
La journée n’était pas terminée pour Albert Kimmerling. Après un bon repas, il dut se résoudre à remonter sur son appareil pour le chemin retour.
« Ce que fut son retour est chose difficile à dire, car seul Kimmerling emporté par le vent, secoué par les tourbillons, tourmenté par les remous, pourrait en donner la note exacte.
De la route où les voitures s’affolaient, on voyait le biplan lutter, pencher, descendre et remonter. Ce fut un retour terrible.
Kimmerling en sortit victorieux. Acclamé tout au long de la route par les habitants de Bourgoin, la Grive, la Verpillère, Saint-Laurent-de-Mure, qui étaient massés sur les portes. Il se hâta le plus vite qu’il put.
Enfin l’aérodrome arriva. Le vent augmentait toujours, les chapeaux s’envolaient, le biplan fit des écarts énormes, mais cramponné à son levier, Kimmerling l’amena au sol, dompté, sans casser un seul bout de bois, sans la moindre avarie. »
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